Archiviste Zenhyr Il y a 8 ans et 9 mois
Etmer a écrit, le 27 Décembre 2015 :

Bien le bonjour, voyageur. Ecoutez-moi, écoutez-moi bien, car je suis le Conteur. Et en ces jours sombres où la lumière peine à briller, écouter un conte fait du bien. Car c’est bien d’une histoire qu’il s’agit. Une histoire, oui… Une fable, une faribole, une boutade… un récit historique, une légende onirique, une épopée épique ? Oui, oui. C’est de cela qu’il s’agit. Tout cela, et tellement plus encore. Sachez, voyageur, que je garde les traces de la légende, les échos des Anciens, la parole des aïeuls. Je suis le Conteur… et je conte un conte.

Fiers arpenteurs de Nirn,  badauds joyeux ou flagorneurs facétieux, entendez mes paroles ! Car il est des contes et des histoires qui parfois se perdent, parfois s’envolent, mais qui toujours, toujours, méritent leurs auditoires. Ce conte se passait il y a fort longtemps, à l’heure où ma barbe poussait tendre…

***

Dans les jungles profondes de Prasin, la chaude lumière du midi peinait à traverser les frondaisons. Bien loin de la luxuriance de Val-Boisé, les terres sauvages du Sud restaient closes, farouches et inviolées. Rares étaient ceux qui s’y aventuraient, et plus rares encore ceux qui s’en revenaient. Des racines boueuses aux cimes des arbres titanesques, la nature vibrait de toute sa splendeur, puissante et indomptée. Partout sous la canopée, ombre et lumière se livraient un duel sans merci. Ici, un monde sauvage vivait et mourrait sous les murmures indolents des feuilles sèches offertes à tous les vents. A l’abri du ciel sans nuage, loin au fond de ses espaces clos emplis de tigres et de moustiques, le voyageur avait raison de se faire rare.

Et pourtant, Prasin ne dormait jamais. Loin des villes des Mers du Sud, on y trouvait toujours assez de fols pour s’y aventurer malgré ses dangers, attirés par l’aventure ou l’appât du gain. Shurak était de ceux là. Le jeune bosmer, plus téméraire que vaillant, arpentait les forêts depuis trois jours à la recherche d’une proie. Il était parti, seul, délaissant son village et ses obligations pour trouver dans la jungle le remède à un mal trop connu des elfes des bois : une dette de vol. Armé de son arc laqué importé du Couchant, sanglé dans son armure d’os de sanglier, le pisteur attendait, tapis dans l’ombre d’un fourré.

Cela faisait maintenant une journée qu’il suivait les deux senches repérés dans une clairière tantôt. Il les avait pistés, traqués, et maintenant il les appâtait. Les deux animaux étaient des bêtes adultes de belle taille, puissantes et élancées. Pour le chasseur qu’il était, il lui démangeait de les percer de ses flèches, mais il ne pouvait s’y résoudre. Il avait besoin que les bêtes gardent  leur pelage intact s’il voulait en dépecer une pièce digne de rembourser son voisin. Celui-ci  avait réussi à lui dérober une pièce unique en os de Wamasu, un casque que son grand-père avait ramené des lointaines contrées de l’Est. Et comme l’exigeait la coutume, Shurak devait maintenant en payer le prix.

Par un heureux hasard, le bosmer avait trouvé une fosse digne de servir ses intérêts. Plus bas dans la jungle, un trou dans le sol éventrait benoîtement le tapis forestier. De quelques mètres de fond, il ne risquait pas de blesser ses proies, mais il l’était assez pour les empêcher de remonter. L’elfe aurait alors tout le loisir d’achever les tigres avec le poison qu’il transportait. Son piège était désormais fin prêt, lui-même était à l’affut, il ne manquait plus que les bêtes pour parachever son plan.

Shurak tendit l’oreille. Au bruit des feuilles cassées, les deux senches approchaient. Il se recula dans le renfoncement de l’arbre, discret au possible. Il s’était placé contre le vent, les tigres ne le sentiraient pas. Ils n’allaient pas tarder à apparaître, attirés par les appâts sanguinolents qu’il avait savamment disposés. Le bosmer disciplina sa respiration, se forçant à garder son calme. Après tout ces efforts, ce n’était pas le moment de paniquer.

Ca y est, ils sont là. Les deux tigres sortaient en effet d’un fourré à pas lents et mesurés. Les deux prédateurs étaient énormes, encore plus massifs que Shurak l’avait estimé. Ces monstres seraient des trophées de choix, dignes d’un chef de tribut. L’elfe se demanda l’espace d’un instant s’il ne pourrait marchander l’une des peaux pour son usage personnel. Mais avant, il devait les capturer. Ca y était presque. Les bêtes approchaient, encore quelques pas et elles tomberaient dans le…

Un bruit monstrueux déchira la canopée, aussi violent qu’un coup de tonnerre. Shurak se rattrapa de justesse. Les arbres vibrèrent sous l’onde sonore, les feuilles tombèrent en pluie sur le sol sylvestre. Rugissant de défi, les tigres détalèrent ventre à terre dans la direction opposée, bien loin du piège désormais inutile. Shurk étouffa un juron bien senti. Quel était l’ignoble enfant de catin responsable d’un tel raffut ? Le bosmer sentit une odeur de brûlé venir d’une trouée dans les arbres, à quelques toises d’ici. Il dévala de son perchoir et parti dans la direction du bruit, maudissant ce coup du sort qui le privait du fruit de sa chasse.

Shurak stoppa net à la lisière de la canopée. Dans une petite clairière, un humain semblait dépassé par les événements. De toute évidence, c’était un sorcier : sa robe de soie blanche, les breloques enchantées et le bâton runique accroché dans son dos témoignaient de concert de sa maîtrise des arts magiques. Qui plus est, l’homme gesticulait désespérément, en pleine incantation. La capuche qui recouvrait son crâne masquait ses traits, mais sa posture témoignait d’une peur panique.

Au cœur de la clairière, des flux d’énergie rougeoyants  se croisaient dangereusement, hors de contrôle. Ils pulsaient de plus en plus vite, crépitaient de plus en plus fort.

- Non, hurla le mage, non ! Non ! Il suffit, je vous ordonne de m’obéir !

Autour de lui, des plantes achevaient de se carboniser, vaincues par les langues de feues impies qui s’étendaient à chaque seconde. Des ustensiles alchimiques gisaient ça et là, soufflés par l’explosion qui avait chassée les tigres. Au centre de ce cataclysme, les flux magiques commençaient à se concentrer en une boule dense et lumineuse. Un portail prenait forme. Shurak s’avança à pas de loup, hélant le misérable qui venait de piétiner ses gains.

- Par le Vert, sorcier ! Que signifie cette magie impie ?
L’homme barbu fit volte-face, infiniment soulagée par cette apparition.
- Les Huit soient loués, sauvez-moi, voyageur ! Ils arrivent !

Au centre de la clairière, la lumière pulsait de plus belle. Les éclairs pourpres tourbillonnaient, le vortex semblait de plus en plus visible. L’énergie se concentrait autour d’une masse sombre, qui se dessinait au travers du portail. C’était une masse énorme, gargantuesque, qui s’arrachait lentement des entrailles du néant. Une main monstrueuse devint tangible, puis vint un pied bouffi, un ventre écailleux démesurément grand, une gueule béante surmontée de deux petits yeux brillants de malveillance…

- Par le vert, grinça Shurak. Sorcier, vous avez invoqué un daedra ?
- S’il vous plait, supplia l’humain, j’ai perdu le contrôle, j’ai besoin d’aide et…

Le sorcier n’alla pas plus loin. D’un geste souple, Shurak venait de lui loger une flèche d’os dans l’œil droit.

- Ainsi périssent les ennemis du Vert, tonna le bosmer.

L’elfe lança un regard triste aux plantes brûlées. Le sorcier n’avait que ce qu’il méritait. Pour faire bonne mesure, il  lança un vigoureux coup de pied dans le corps agonisant, lui arrachant ses derniers spasmes. Plus bas, le spectacle devenait critique. L’invocation était terminée. Un monstre obèse et grimaçant reniflait goulument l’air chargé d’humus de la sylve.

- Un ogrim, frissonna le bosmer... qu’est-ce que c’est moche !

Shurak avait entendu parler de ces daedras gloutons qui sévissaient dans le sillage des mages noirs, mais jamais au grand jamais il n’avait pu en contempler un de ses yeux. Et, par le Vert, il s’en serait bien passé ! En bas, le monstre arrêta de renifler et tourna la tête dans sa direction. Shurak pesta. Il était repéré.

L’ogrim se redressa et gronda, menaçant. Il bomba le torse, se frappa le poitrail avec ses mains difformes et fit trembler le sol avec ses pieds. Mille racines, il va charger ! Shurak banda son arc et décocha un trait qui vint percuter l’ogrim en pleine tête. La flèche fit mouche mais rebondit sur le cuir épais du monstre, sans effet.

Un frisson glacé traversa le chasseur, qui contemplait avec effroi l’inutilité de son arme. L’ogrim, agacé par cette attaque, commença à charger. Son pas pataud fit trembler les pierres, sa masse énorme prenant de la vitesse à chaque foulée.

Sans hésiter, Shurak décampa. Il couru comme un possédé, sans un regard en arrière. Il fonça droit  vers le couvert des arbres, son meilleur espoir. Derrière, l’ogrim le suivait. Il arriva à l’orée du bois, se retourna et encocha une seconde flèche. Il la dirigea cette fois contre une articulation du monstre. Sans résultat. L’elfe reparti de plus belle. Il slaloma entre les troncs, esquiva les pierres et les racines. Un plan s’esquissait dans son esprit. Derrière, l’ogrim perdait du terrain mais suivait toujours. Shurak orienta sa course en courbe, revenant sur ses pas. Il déboucha enfin  vers un bosquet familier.

L’ogrim déboula juste derrière lui, grondant et bavant. De l’autre côté de la percée, le bosmer encochait une nouvelle flèche. Le trait fila vers l’épaule du monstre, sans autre effet que de l’agacer d’avantage. Rugissant de défi, l’ogrim chargea droit sur l’elfe, faisant vibrer le sol de plus belle. Shurak encocha une seconde flèche, mais n’eu pas besoin de la tirer. Arrivé à quelques mètres de lui, l’ogrim s’enfonça dans le sol, tombant comme une pierre dans le piège destiné aux senches. Sa chute ébranla la roche, arrachant quelques feuilles supplémentaires à la canopée.

Shurak s’approcha doucement, circonspect. En contrebas, le monstre écumait de rage, mais il était incapable de remonter seul de la fosse. Le bosmer sourit. Désormais, il allait pouvoir vérifier si sa décoction pour tigres était aussi redoutable qu’il le pensait.

***

Eh oui, voyageurs, c’est ainsi que cette histoire s’est déroulée il y a fort longtemps. Le jeune bosmer, tout surpris de sa trouvaille, fit pourtant faux bond de sa mauvaise fortune pour parvenir à ses fins. Il fit valoir son droit de la viande coutumier des siens et dépeça le mage vaincu pour s’approprier sa chair. Il tenta de faire de même avec l’ogrim, mais sa carcasse était tellement dure qu’il ne put qu’en râper des copaux. Les affaires du sorcier finirent vendues à un marchand de passage et Shurak s’en fut, fort de ce pécule, récupérer son casque à son voleur de voisin.

L’histoire s’acheva piteusement quelques jours plus tard, quand le jeune Shurak, grisé par sa victoire, fit bouillir les chairs du mage et les assaisonna d’un copieux râpé d’ogrim. Un vrai plat de fête, qui convenait au jeune intrépide pour célébrer son exploit. Bien mal lui en prit, car la viande de l’ogrim était empoisonnée. Il agonisa dans ses biles au coucher du soleil.

Ainsi, voyageur, la morale de cette histoire est limpide. Il ne fait jamais bon de tracter avec des daedras. Si la fortune vous favorise, leur concourt ne vous sourira au mieux pour un temps, vous évitant le ragoût ou le dégoût. Mais jamais au grand jamais, l’ignorance ou la bêtise ne devra guider vos actes, car personne, oui, personne ne vous entendra crier en Oblivion.
Edge Il y a 8 ans et 9 mois
Parmi l'Assemblée entourant le Conteur, une jeune Femme se tient, discrète et attentive. L'Histoire terminée, elle s'incline avec Respect avant de s'éloigner, marquée par le Talent de l'Orateur, tant sur le Fond que sur la forme.

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